Jean-Luc Godard, 2 ou 3 choses que je sais d’elle (1966)
Posted by Pierre Igot in: MoviesNovember 21st, 2003 • 1:41 am
Il est facile, au début, de laisser gagner par l’impatience. Après tout, comme souvent (toujours?) chez Godard, il s’agit d’un film sans histoire ou du moins sans histoire délibérément conçue pour qu’on s’y plonge. Il y a des choses répétitives sans que la justification de la répétition soit claire. Et puis surtout il y a un niveau d’abstraction du discours (celui de la voix off, celui des personnages quand ils parlent de théorie au lieu de dire leurs répliques de dialogue ordinaires dans le récit) qui est tout simplement rebutant si l’on cherche à « se distraire » ou à « s’évader ».
D’un autre côté, il faut aussi reconnaître qu’il est tout aussi facile pour un film « ordinaire » (avec une histoire, un scénario) de compter sur notre bonne volonté de spectateur qui accepte de croire à la fiction, au récit, aux personnages, juste pour voir où cette acceptation va le mener.
Alors est-ce trop demander que d’exiger du lecteur qu’il se laisse prendre par un récit qui n’en est pas un, des scènes qui s’enchaînent sans s’expliquer, un chuchotement dont les explications ne font qu’égarer encore davantage?
Parce qu’il y a, malgré tout, quelque chose d’envoûtant dans ce cinéma qui est à la fois expérimental, politique, provocateur, brut, non écrit et à la fois très écrit.
C’est peut-être simplement les petits passages de musique pour cordes qui interviennent ça et là dans un film autrement sans musique, dont l’« ambiance » est toute entière faite de bruits de chantier et de guerre. C’est peut-être le caractère malgré tout assez immédiat du propos — guerre, sexe, capitalisme, matérialisme, brutalité industrielle — qui est éminemment d’actualité et qui le restera encore sans doute pendant de longues décennies.
C’est peut-être aussi parce que la qualité du film n’est pas qu’on ait, que Godard ait osé le faire — le film n’a rien de scandaleux — mais qu’il ait tenu à le faire, jusqu’au bout de l’heure et demie. Et qu’on tient à le regarder.
Chaque fois que je vois un film de Godard, je me demande pourquoi il est aussi désespérément seul dans le « paysage cinématographique », pourquoi il y a si peu d’expérimentation par ailleurs, chez les autres, avant comme maintenant, pourquoi il y a le cinéma plus ou moins toujours conventionnel d’un côté et ça de l’autre et rien entre les deux.