Jean-Louis Murat, Moscou (2005)

Posted by Pierre Igot in: Music
April 5th, 2005 • 8:41 am

Ce n’est peut-être pas une coïncidence si, dans la même semaine, je découvre le dernier album de Jean-Louis Murat, Moscou — et je lis aussi dans le magazine MOJO du mois de février 2005, en passant, une chronique sur un disque récemment publié intitulé Le nouveau rock’n’roll français.

Dans cette chronique, l’auteur s’enthousiasme sur la vitalité des morceaux recueillis, qui prouvent bel et bien, selon lui, que les Français sont capables de faire du rock. Le hic, c’est que tous les morceaux qu’il cite ont, semble-t-il, des titres et donc des paroles en anglais.

Je n’ai rien contre le fait que des rockeurs français choisissent de s’exprimer en anglais, puisque c’est, après tout, la langue maternelle du rock, mais c’est quand même frappant qu’il faille qu’ils s’expriment en anglais pour attirer l’attention des journalistes du principal magazine de musique du Royaume-Uni.

Quant au dernier Jean-Louis Murat, il ne faut pas s’attendre de si tôt à trouver une chronique à son sujet dans MOJO ou ailleurs dans la presse anglo-saxonne. Et pourtant…

Jean-Louis Murat prouve, une fois de plus, qu’il est possible de faire en français (et en France) non seulement du rock, mais aussi plein d’autres choses musicalement plus passionnantes les unes que les autres.

Le hic, c’est que Murat ne vend pas vraiment et qu’il ne vendra sans doute pas plus avec cet album qu’avec les précédents, en dépit de la présence d’une artiste aussi populaire (en France) que Carla Bruni, sur le duo “Ce que tu désires”. Ce duo, qui sort semble-t-il en single, n’est sans doute pas assez accrocheur pour renverser la tendance, même s’il est plus riche que ne le laisse penser une première écoute. (À cet égard, le country-rock emballant de “L’amour et les États-Unis” avec Camille aurait peut-être eu plus d’impact.)

Alors il semble bien — même si cela n’a pas encore été confirmé officiellement, apparemment — que Jean-Louis Murat ait finalement été lâché par sa maison de disque, Labels (succursale de EMI). Et c’est bien malheureux. On se rappelle que Murat était déjà parti dans une demi-retraite après Dolorès, avant de relancer sa carrière avec Mustango, sous l’impulsion, entre autres, de ses fans présents sur Internet. Il est à craindre que Murat soit de nouveau tenté de “jeter l’éponge” face à une industrie du disque et un public qui semblent préférer, comme ailleurs dans le monde, la pop préfabriquée.

Malheureusement, à la différence de l’Angleterre ou des États-Unis, où le règne de la pop préfabriquée ne suffit pas à handicaper complètement les artistes plus “confidentiels”, qui trouvent quand même un public certes plus modeste mais suffisant pour continuer leur carrière, en France on dirait que le seul salut commercial est dans la pop préfabriquée… Il y a bien sûr toujours des nouveautés moins commerciales qui arrivent à percer — mais est-il possible pour ces artistes non commerciaux de se construire une carrière dans la durée? Rien n’est moins sûr…

Pourtant, ce n’est pas parce que la musique de Murat n’est pas commerciale (au sens d’aujourd’hui) qu’elle n’est pas accessible, loin de là! Le petit dernier le prouve encore, avec toutes sortes de mélodies accrocheuses, une belle diversité musicale, etc. J’y retrouve comme un condensé des diverses voies explorées par Murat depuis l’an 2000, de la fausse légèreté funky du Moujik et sa femme de 2002 à l’inspiration plus purement poétique d’un projet comme le Madame Deshoulières, en passant par les avancées blues-rock de Lilith et l’intimité acoustique du Parfum d’acacia au jardin.

Ce qui manque juste peut-être, c’est l’ambition d’un Mustango. On imagine par exemple assez facilement, sur un morceau comme “Et le désert avance”, une deuxième partie prolongeant le morceau sous une forme plus “épique”, à la manière de “Nu dans la crevasse”. Mais Murat reste sage et sous la barre des 5 minutes… Ça reste excellent, mais il manque juste peut-être cette touche de délire qui permettrait d’affoler davantage ces fans avides d’éclat et d’ambition rock.

Alors voilà. Murat continue de surclasser ses contemporains, mais le succès commercial continue de lui échapper… et il se retrouve laissé de côté par une industrie peu attachée à la qualité artistique. Pas étonnant alors qu’il soit tenté de se mettre à chanter en anglais pour éviter de devenir un “has been de la chanson française“, comme il le disait dans une interview récente!

Malheureusement, j’ai peur que son anglais ne soit quand même pas à la hauteur et que ce soit une boutade plus qu’autre chose. Mais j’ai aussi peur que Murat ne trouve pas le courage de continuer son bonhomme de chemin tout seul, sans l’appui logistique d’une maison de disque, avec le seul appui (certes plus imprévisible et impondérable) de ses fans.


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