Stendhal en Irak

Posted by Pierre Igot in: French Stuff
April 14th, 2003 • 11:05 pm

J’attendais avec impatience le premier article de presse qui ferait le lien évident entre la façon dont nous vivons cette nouvelle guerre en Irak par “journalistes intégrés” interposés et les mésaventures de Fabrice sur le champ de bataille de Waterloo dans La Chartreuse de Parme. Eh bien voilà, à compter du 13 avril, c’est fait:

Bomb” by Charles McGrath, The New York Times

We, as viewers, were in the position of Stendhal’s Fabrizio, who in ”The Charterhouse of Parma” stumbles INTO the battle of Waterloo without a clue as to what’s really going on.

Ce qui est paradoxal, c’est que le journaliste en question donne cet exemple dans un article où il essaye justement de dire que la littérature et le cinéma peuvent nous en apprendre bien plus sur la guerre que ces reportages en direct sans recul ni perspective…

Du même coup, j’ai trouvé un autre rapprochement avec Stendhal, en français cette fois, dans un article du Monde du 11 avril:

La guerre se livre, Le Monde

D’après Jean Kaempfer, auteur de Poétique du récit de guerre, la grande fracture se situe au début du XIXe siècle. Le romancier fait alors intervenir dans son récit non plus des généraux avertis mais de simples soldats naïfs et peu préparés. Le personnage emblématique en est Fabrice, dans La Chartreuse de Parme de Stendhal, complètement perdu sur le champ de bataille de Waterloo, ne saisissant rien de ce qui se passe sous ses yeux. “Ce point de vue non compétent a bouleversé la façon de considérer la guerre”, explique l’auteur. “Voir la guerre par le petit bout de la lorgnette, c’est la boue, les poux, la confrontation avec les cadavres”, poursuit-il.

C’est un peu mieux. Mais on n’y voit pas beaucoup plus clair. D’autres s’essayent à réagir à cette nouvelle tactique de l’armée américaine consistant à “intégrer” les journalistes dans les troupes:

Guerre contre l’Irak : médias intégrés, médias contrôlés de F.-B. Huygue, Vigirak.com (2 mars 2003)

Mais, en somme, cette intégration ne fait que renforcer un phénomène déjà constaté lors de la première guerre du Golfe et lors d’autres conflits récents: les reportages sur place, s’ils s’attachent le moins du monde à tenter de suivre les événements minute par minute, sont voués à l’échec le plus complet — et ce n’est pas seulement parce qu’ils sont incapables de construire un “récit”. C’est tout simplement parce qu’ils n’ont absolument rien d’intéressant à dire ni, le plus souvent, à montrer.

Le seul intérêt d’avoir des journalistes sur place, ce serait de les envoyer faire des reportages “de fond” — ce qui est évidemment quasiment impossible en temps de guerre.

Bref, on est encore loin d’avoir trouvé un véritable rôle pour les journalistes dans les conflits armés — à part celui de se faire zigouiller accidentellement (ou pas si accidentellement que ça parfois).

Pour finir en revenant sur la Chartreuse de Parme, Google permet parfois de dénicher de curieuses coïncidences. Ainsi, cet examen oral du King’s College de Londres, en date de quelques semaines à peine, dans lequel l’étudiant est invité à choisir parmi quatre textes, dont le premier est un article de Patrick Sabatier intitulé “Rupture” sur la guerre en Irak publié dans Libération le 19 mars 2003 et le troisième est un extrait de… La Chartreuse de Parme, dans la partie sur Waterloo justement.

Tout ça pour dire que cette guerre (et les suivantes, et les autres, et tout ce qui bouge aujourd’hui) est à suivre impérativement sur Internet, et pas à la télé… Les nouvelles, ça se construit autant que ça se consomme.


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